jeudi 2 juin 2011

The Tallest Man on Earth - Maroquinerie


            Non, The Tallest Man on Earth n'est pas un tribute band consacré aux premières  œuvres d'Éric et Ramzy. Si tu as ri, tu t'es trahi : tu as au moins trente ans. Et tu parles anglais, aussi. The Tallest Man on Earth, c'est un Suédois pas spécialement grand par la taille, mais qui fait taire les gens désagréables de par son talent, qui est conséquent. Et moi, les gens qui font taire les nuisibles, je voudrais leur faire des câlins tous les jours. Surtout quand parfois, comme celui-là, ils portent bien la moustache.
             Mais avant de parler de la pièce de résistance (en français dans le texte), je crois bien qu'il va falloir que je touche un mot de la première partie. Elle était assurée ce soir-là par une autre bande de Scandinaves qui se fait appeler Francis. Oui, je sais, c'est bizarre, mais comme ils viennent du grand nord, je suppose qu'ils ne connaissent pas bien Francis Lalanne. "Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font", comme disait l'autre. J'aimerais avoir plus de choses à en dire que ce que je m'apprête à faire, parce que ça m'ennuie toujours un peu de ne rien penser du dur labeur de quelqu'un, mais malheureusement, je suis restée totalement impassible et insensible à leur musique. C'était une pop-rock assez classique, que je n'hésiterai pas à ranger dans la case RTL2. Une petite chanteuse enthousiaste à la voix puissante, qui rappelle parfois un peu P.J. Harvey (d'après mes sources), guitare, basse, batterie : à hausser les épaules comme ça, je risque surtout de me faire un tendinite. Pourtant, le reste du public a eu l'air complètement sous le charme, ce qui représente tout de même une bonne tripotée de gens puisque la salle était pleine à craquer ; mais bon, n'excluons pas non plus la possibilité qu'ils étaient pressés de passer aux choses sérieuses et qu'en conséquence de quoi, ils auraient tout aussi bien applaudi une huître qui jouait de l'hélicon.
             Dieu merci, ça n'a pas duré bien longtemps (enfin, surtout parce que j'ai raté le début), et l'interlude qui a suivi nous a permis de profiter d'une course effrénée à la binouze fraîche pour nous rapprocher un peu. Oui, parce qu'en plus il faisait 45° ce soir-là : c'est aussi ça, le bonheur des petites salles mal aérées les jours de forte chaleur. Le côté pratique de ce genre d'artistes, c'est que l'équipement sur scène est assez limité à mettre en place : quatre ou cinq guitares, et roule poupoule. Et puis pouf, les lumières s'éteignent (ou s'allument, selon le côté de la scène où tu te trouves), et un tout petit monsieur ébouriffé débarque sur scène dans un débardeur à rayures. Et puis il commence à jouer, et c'est beau. LA FIN. C'est horriblement difficile de parler de ce qu'on aime, mille fois plus difficile que de décrire ce qu'on ne connaît pas ou ce qui nous indiffère. C'est bien pour ça que je me trouve tout à fait dépourvue quand arrive le moment de tenter d'expliquer pourquoi, exactement, sa musique est aussi parfaite, touchante, et juste. Après tout, c'est rien d'autre qu'un Suédois malingre avec une guitare, une drôle de voix et un penchant marqué pour les pilosités fantaisistes. Et pourtant, l'alchimie est telle que quand je l'écoute, je ne pense plus à rien d'autre et j'ai l'air bête. Oui, plus que d'habitude. Il traite sa guitare avec passion et dextérité, à tel point que j'ai du mal à ne pas tenter de suivre ses mains du regard juste pour être sûre qu'il ne triche pas, et il met dans son chant tellement d'intensité que chacune des personnes présentes dans la salle est en droit de penser qu'il s'adresse directement à elle. L'impression qui en ressort, c'est qu'il joue et qu'il chante parce qu'il n'a pas d'autre choix, parce qu'il faut bien que ça sorte, et parce qu'il est physiquement incapable de tout garder pour lui. Et c'est justement cette sincérité flagrante et quasi irréelle qui manque à énormément d'autres groupes et qui fait toute la différence entre un musicien lambda et un artiste inclassable dont on aura du mal à se lasser. Bien entendu, chacun est autorisé à remplacer "on" par "je" là où ça l'arrange.

V'là comment il t'ouvre le bal, le mec. Respect, gros. 
            Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire qu'il a pioché un peu partout dans son répertoire, que ça aurait pu durer une heure de plus et que je n'aurais rien trouvé à y redire, et qu'en plus il est sympathique et il a de l'humour. Malgré une corde cassée dès la deuxième chanson, il a rebondi avec une pirouette, avant d'être rejoint sur scène un peu plus tard par le bassiste et le batteur des susdits Francis pour une version un peu plus relevée de "The Dreamer", probablement l'une des plus belles chansons du monde. Et là, c'est un peu flou. Mon regard brouillé par les larmes a un peu plus de mal à discerner la scène. Et même si je suis un poil déçue, parce que je préfère mon Suédois de petite taille dans le dépouillement le plus total, je me dis qu'après tout, c'est peut-être pas plus mal comme ça, vu que sinon on n'aurait entendu que mes sanglots ravalés (et je ne vois pas qui irait payer pour ça). Et puis, déjà, c'est l'heure du rappel, et après deux petites chansons en rab pour les affamés que nous sommes, dont un "Kids on the Run" au banjo inattendu, mais pas désagréable, il repart comme il est venu. Et je rentre me coucher, en me disant que quand même, j'ai parfois bien de la chance de pouvoir assister à ce genre de spectacles.

On aurait presque envie de croire que le monde n'est qu'amour.
 Et ça, là, au-dessus, c'est exactement pour ça qu'il faut écouter ce Tallest Man on Earth.
             La semaine prochaine, je vous parlerai d'Annie Cordy et on rira mieux. Même si c'est pas commode.
Suzy C.



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